Par Paule Verbruggen - historienne et directrice de l'Amsab-ISG
Une longue histoire : l'Institut national d'histoire sociale
L'Amsab-ISG a une histoire, mais aussi une préhistoire. Dès 1937, la compagnie d'assurance socialiste La Prévoyance Sociale créait à Bruxelles un Institut national d'histoire sociale , sur le modèle de l'Institut international d'histoire sociale d'Amsterdam.
L'INSG devait être une archive scientifique indépendante, une bibliothèque et un centre de recherche en histoire sociale, sans aucun lien politique. Une initiative unique dans un contexte où l'historiographie des mouvements sociaux (tels que les partis politiques) remplissait encore principalement une fonction de légitimation et était fortement compartimentée. Il n'en fut rien, cependant, car dès octobre 1940, l'institut fut contraint de fermer et les occupants allemands pillèrent les collections acquises. Celles-ci ne furent redécouvertes que dans les années 1990 aux Archives spéciales d'État de Moscou par Wouter Steenhaut, premier directeur de l'Amsab-ISG, et l'archiviste Michel Vermote.
Des archives du parti à l'institut indépendant
Après la guerre, le mouvement socialiste s'intéressa peu à ses propres archives et à leur exploration active. Cet intérêt prit cependant de l'ampleur dans le monde universitaire. Lors de ses recherches sur les soixante-quinze ans d'histoire du Parti socialiste belge, publiées en 1960, le professeur gantois Jan Dhondt constata la rareté des sources disponibles. Il encouragea toute personne possédant des documents relatifs à cette histoire à les donner à une bibliothèque. Il encouragea également ses étudiants à rechercher des sources intéressantes.
Musée et des Archives du Mouvement Socialiste Gantois avait déjà été créé dans les années 1950. Le bibliothécaire de la Vrijzinnige Werkmansbibliotheek Leren Vereert (Bibliothèque Libre des Ouvriers) et le secrétaire fédéral du Parti Socialiste Gantois s'étaient associés pour sa création. Ils avaient rassemblé de nombreuses archives, documents bibliographiques et iconographiques dans la Salle des Fêtes Étrangères, mais n'avaient pas réussi à mettre en place une structure opérationnelle.
Herman Balthazar, doctorant de Jan Dhondt, franchit une nouvelle étape. En préparant le centenaire de la Première Internationale socialiste en 1964, il redécouvrit la documentation de l'ancien Musée et Archives et, avec Gilbert Temmerman, alors secrétaire fédéral du parti gantois, créa les Archives du parti gantois . Celles-ci occupaient deux petites salles de la salle du parti Vooruit et dépendaient principalement de bénévoles. Au cours des années suivantes, les archives s'élargirent encore, non seulement géographiquement, mais aussi thématiquement : de plus en plus d'archives furent reçues du syndicat, de la mutuelle et des coopératives.
Entre-temps, Balthazar avait également succédé à Jan Dhondt, décédé subitement et prématurément en 1972, comme professeur et poursuivi les recherches académiques critiques sur le mouvement ouvrier socialiste. En 1974, Wouter Steenhaut devint son assistant. Ses contributions aux premières années des archives furent inestimables. Cependant, trouver un financement suffisant pour une professionnalisation plus poussée, avec un personnel suffisant et une infrastructure plus adaptée, restait un défi majeur ; les dotations du Parti socialiste gantois étaient insuffisantes.
Professionnalisation et reconnaissance
Dans les années 1970, non seulement à l'Université de Gand, mais aussi à la KU Leuven, l'accent a été mis sur une approche plus scientifique et indépendante de l'histoire sociale, et la nécessité d'une politique d'archives structurée pour les organisations de la société civile a été prise en compte. C'est ainsi qu'en 1976, le KADOC a été fondé au sein de la KU Leuven, initialement comme centre de documentation et de recherche catholique, axé initialement sur le patrimoine des organisations catholiques.
Il est important de noter que la législation archivistique de l'époque ne prenait pas en compte ces nouveaux développements de la recherche : la loi de 1955 sur les archives stipulait que les archives nationales n'étaient tenues de conserver que les archives des institutions gouvernementales ou des autorités publiques. Peu d'institutions privées et de particuliers étaient donc disposés à y déposer leurs archives.
Les archives du parti socialiste de Gand et le KADOC partageant un besoin de soutien financier structurel, ils s'unirent pour solliciter des subventions auprès du nouveau gouvernement flamand. Lors de la première réforme de l'État de 1980, la Belgique fut divisée en trois communautés culturelles (néerlandaise, française et germanophone), et l'enseignement, la culture et la recherche scientifique devinrent des compétences régionalisées. Pour bénéficier de ce soutien au sein de cette nouvelle structure, les archives du parti de Gand durent se transformer en association sans but lucratif. Finalement, le 23 mai 1980, la propriété des archives du mouvement socialiste fut transférée à l' association sans but lucratif AMSAB ( Archives et Musée du Mouvement ouvrier socialiste ), dont Wouter Steenhaut était le directeur.
La première et la plus importante incitation financière est toutefois venue de la province de Flandre-Orientale. À l'occasion du 150e anniversaire de la Belgique en 1980, elle a proposé le concept d'un Musée de la Lutte Sociale Flamande. Les professeurs Emiel Lamberts et Herman Balthazar, respectivement présidents du KADOC et de l'AMSAB, y ont joué un rôle clé. Avec le Musée Daens, fondé en 1978, et les Archives de la Lutte Sociale Flamande (devenues plus tard les Archives des Mouvements Nationaux ou ADVN), et grâce au soutien financier structurel de la province, l'initiative a été transformée en un musée « virtuel ». Au sein de ce musée, des centres d'archives et de documentation privés – les Archives Libérales y ont adhéré en 1982 – ont pu développer à tour de rôle leurs propres projets de recherche avec un volet public. Les nombreuses expositions et publications qui en ont résulté ont largement contribué à une plus large sensibilisation au riche patrimoine de la société civile.
Cependant, la véritable sécurité d'existence du KADOC, de l'AMSAB, de l'ADVN et des Archives libérales n'est venue qu'avec la reconnaissance statutaire et donc avec le financement permanent du gouvernement flamand en 1985.
© Amsab-ISG
Une vision plus large
Nouveaux mouvements sociaux
À partir de la fin des années 1980, l'AMSAB a progressivement commencé à recevoir des archives de ce que l'on appelait alors les « nouveaux » mouvements sociaux, tels que le mouvement pacifiste, le mouvement des femmes, des organisations engagées pour la justice mondiale et le commerce équitable comme 11.11.11 et Oxfam Wereldwinkels, ainsi que de la communauté LGBTQIA+ (alors encore appelée mouvement LGBTQIA+). Cet élargissement du profil de la collection est né d'une interaction entre une prospection active et des créateurs d'archives en quête d'une institution patrimoniale dont la mission correspondait à leurs valeurs sociales et qui offrait des garanties pour la conservation sûre et durable de leurs archives.
Pain et roses
Face à cet intérêt croissant, Guy Van Schoenbeek, chercheur à l'AMSAB, a pris l'initiative en 1996 de transformer AMSAB-Tijdingen « Bread & Roses ». Il s'est inspiré du slogan « We want bread and roses too », chanté par les ouvriers du textile lors de la désormais célèbre grève de Lawrence, aux États-Unis, en 1912. La revue fêtera son trentième anniversaire en 2026.
Cet élargissement constant de la collection a également alimenté le débat sur le nom AMSAB. Finalement, fin 1999, il a été décidé de conserver l'acronyme Amsab (en minuscules) et de l'associer au titre « Institut d'histoire sociale ». Ce titre faisait explicitement référence au cursus indépendant et universitaire de l'Institut national d'histoire sociale d'avant-guerre.
Environnement et migration
Entre-temps, un nouveau thème est apparu : le mouvement environnemental. En 1996, nous avons reçu, par coïncidence, les premières archives « vertes » de Greenpeace Belgique. Le véritable catalyseur, cependant, a été la collaboration avec le Bond Beter Leefmilieu (BBL) en 2002, suite à laquelle les archives de toutes sortes de groupes d'action environnementaux et de protection de la nature ont afflué. Pour la période 2024-2028, le mouvement environnemental sera même au cœur de toutes nos activités.
Vers l'an 2000, le thème des migrations a pris de l'ampleur. Chercheur engagé dans ce domaine, Piet Creve identifie deux facteurs importants pour cette évolution. Premièrement, la publication d'un ouvrage sur Pierre De Geyter, compositeur de la chanson « L'Internationale », l'un des centaines de milliers de Belges ayant émigré en France au XIXe siècle à la recherche d'un emploi. Cela a suscité une demande auprès de l'Amsab-ISG pour des archives sur les migrations de travail plus récentes en Belgique. Deuxièmement, le nombre croissant de recherches en salle de lecture a été un facteur déterminant. Face à la diversification constante de la société, le thème des migrations a suscité un intérêt croissant de la part des historiens et des chercheurs en sciences sociales, et la demande d'archives a augmenté. Le champ d'action du sujet s'est progressivement élargi : du secteur de l'intégration aux organisations autogérées, de l'immigration de travailleurs immigrés aux réfugiés du monde entier. Nous nous efforçons de collaborer systématiquement avec d'autres organisations patrimoniales, et en particulier avec la communauté migrante elle-même. Un bon exemple de collaboration structurelle est le projet « Carte du secteur des migrants et de son patrimoine en Flandre 1830-1990 » développé fin 2008 en collaboration avec le KADOC. Ce projet a permis de constituer un répertoire de toutes les organisations du secteur des migrants et de leur patrimoine, principalement des archives, des publications et des supports audiovisuels. La migration demeure aujourd'hui encore un thème central pour les deux institutions.
La décision d’Amnesty International, organisation qui fait de la neutralité politique sa marque de fabrique, de confier ses archives à Amsab-ISG en 2000, est symbolique de la dépilarisation progressive de notre travail.
© Amsab-ISG
Une journée portes ouvertes en mouvement
Les évolutions les plus récentes de notre collection concernent l'élargissement à d'autres formes de patrimoine, en lien avec la numérisation de notre société. Depuis 2020, nous développons une stratégie numérique, en nous concentrant initialement sur les sites web, les pages Facebook, les comptes Twitter, etc. de nos créateurs d'archives existants et de nouvelles organisations et initiatives axées sur des thèmes d'actualité. Outre nos créateurs d'archives, nous collectons également des hashtags pertinents pour notre mission. Des recherches menées par Jeroen Fernandez-Alonso et Kim Robensyn, membres de l'équipe d'Amsab, ont montré que les réseaux sociaux donnent également la parole aux groupes sous-représentés, car ils fonctionnent largement de manière ascendante et décentralisée. Chacun peut utiliser les hashtags pour exprimer ses expériences personnelles et les intégrer au débat public. D'où leur appel à développer des méthodes pour capturer, collecter et valoriser cet activisme en ligne dans toute sa diversité.
Dans nos actions de sensibilisation, nous privilégions également la participation et la co-création avec les groupes sous-représentés . Cela implique un investissement en temps plus important et un engagement envers des formes de communication plus nombreuses et plus variées. Cela ne signifie pas pour autant que nous abandonnions nos racines ni, au contraire, que nous enrichissions sans cesse notre contenu. Bien au contraire, nous suivons de près le profil de notre collection, conformément à notre mission : être la mémoire des mouvements sociaux et des individus qui résistent à l'injustice et aux inégalités, en luttant pour l'égalité, la durabilité et une meilleure qualité de vie.
Nous aspirons à une ouverture et un dialogue optimaux. C'est dans cet esprit qu'Amsab-ISG a entrepris en 2017 une rénovation majeure de son bâtiment de la Bagattenstraat. L'objectif était de créer un environnement plus ouvert et de faciliter l'accès à nos locaux pour tous les visiteurs. Les chiffres d'audience témoignent du succès de cette mission.
Nous espérons ainsi, avec de nombreux autres acteurs du patrimoine en Flandre, contribuer à une meilleure connaissance de l'histoire et à une société où chacun se sent vu, entendu et valorisé. Dans un monde de plus en plus polarisé, c'est un véritable défi.